Quand on demande à Laïth Bouziane, 21 ans, comment peut-il résumer son parcours de vie, le jeune homme n’hésite pas une seconde et évoque « un océan des inconnus ». La trajectoire de vie de Laïth est puissante, difficile, belle malgré les obstacles rencontrés. Elle a été jonchée d’épreuves imprévues qui semblent aujourd’hui davantage maîtrisées. Laïth a maintenant un métier, il est standardiste depuis quelques mois et a trouvé sa place dans la société française. Il faisait partie de la première promotion de LinkedOut, le réseau professionnel de ceux qui en n’ont pas, créé par l’association Entourage. Le jeune homme sera l’un des fervents supporters du voilier LinkedOut sur le prochain Vendée Globe qui vise à promouvoir les actions de l’association en matière d’Inclusion. Il est la preuve qu’un réseau est primordial pour s’insérer. Retour sur un tracé sans commune mesure avec l’intéressé…
« Je m’appelle Laïth. Je suis né en Algérie à Khenchela il y a 21 ans. A ma naissance, mes parents m’ont abandonné. Le juge pénal m’a alors confié à mes grands-parents. » Le décor est planté. Laïth est élevé par ses aïeuls. Il n’est pas mauvais à l’école. C’est un enfant paisible jusqu’à ses 13 ans où on lui diagnostique un cancer du système urinaire. Première opération faite, des complications arrivent. Laïth a une sonde pendant un mois et souffre mais se remet peu à peu. Sa maladie le conduit à vouloir tenter le grand saut vers l’Europe. « Il fallait une autorisation paternelle pour pouvoir avoir la possibilité de partir en France ou en Allemagne » indique t’il. « Cette situation était assez ubuesque pour moi car je n’avais pas de lien paternel. Je décide alors de tenter ma chance par la mer de façon illégale. »
Par la mer !
Direction Malaga en Espagne à bord d’un zodiac poussé par 400 chevaux, passeurs à l’appui. « Nous étions deux bateaux à moteur. Le premier a réussi à atteindre les eaux internationales. J’étais dans le second. Je me vois encore jeter mes affaires dans l’eau afin d’alléger notre embarcation pour aller plus vite mais hélas nous sommes arrêtés par la garde algérienne. » Laïth est arrêté par les gendarmes et débute une détention de deux semaines. « Mon grand-père est venu me chercher. Il paie alors une certaine somme pour me sortir. Je me suis fait démonter la gueule. Je lui avais dit que j’étais parti en colonie… ». A sa surprise, à son retour à la maison, son grand-père prend en compte le désir de son petit-fils et fait des démarches pour l’envoyer au Canada où la famille a des proches. La demande est refusée. Il réussit à communiquer avec la maman de Laïth afin d’essayer de trouver une solution et un visa pour la France où la mère de Laïth réside. Contre tout attente, un visa français est délivré. Laïth est toujours sous traitement.
Hexagone
La mère de Laïth finit par accepter d’accueillir son fils. Elle a refait sa vie, Laïth est un inconnu de 15 ans et très vite il est mis à la porte. « J’étais déjà content d’être en Europe. Me voilà face à moi-même à Vitry-sur-Seine. Je parlais Arabe et non français. J’ai pris le bus pour Paris, je suis monté dans un tramway, le T3, je me rappelle ensuite avoir admiré la fameuse bibliothèque François Mitterrand. Plusieurs souvenirs me reviennent : j’ai faim. Mes reins me font mal. Il fait froid. Je pisse le sang. Je cherche un hôpital. » Laïth intègre une unité pédiatrique. Un traducteur vient à son aide. La police arrive « comment ça tu es dehors ? Quel âge as-tu ? Où sont tes parents ? » Les policiers se rendent chez ma mère. « Votre fils a fait une fugue, nous vous le ramenons. » Elle dépose plainte contre son fils pour menace de mort. Une enquête est ouverte. « Je me retrouve devant un juge. C’est la panique à bord. On me propose 6 mois de prise en charge via une ordonnance de placement de protection de l’enfance. »
De foyer en foyer
Un foyer situé à Nogent-sur-Marne prend en charge l’adolescent. Il apprend le français et fréquente l’école. Sa santé va mieux. « Je croyais, à cette époque, être sorti d’affaire. On me replace dans un nouveau foyer, cette fois à Paris. Je me fais harceler par le directeur de ce dernier. Je finis par lui envoyer une chaise dans son visage. Je décroche scolairement. Je me retrouve à nouveau devant une juge qui me met dehors, j’avais 17 ans et je ne comprenais pas cette décision. » Laïth est sans logement. Il erre dans les rues parisiennes. Il vole à l’étalage. Il s’enfonce. Il construit une cabane dans le parc de la porte de Bagnolet de façon à avoir un « chez lui ». Il est retrouvé dans une situation catastrophique par les autorités. Le parquet décide de ne pas le laisser dehors ! « J’arrive dans un foyer correct. Je rencontre une journaliste. Elle m’aide et je deviens animateur d’une émission sur Moi FM. Je pratique alors les arts martiaux. J’excelle et remporte un championnat de Free Fight au Luxembourg, une joie. J’organise ensuite des galas de boxe. »
Sans abri, sans famille
Laïth fête ses 18 ans. On lui autorise un contrat jeune majeur. Il se forme à la cuisine. Il n’a toujours pas de titre de séjour. Il entame de nouvelles démarches pour ce sésame. A 19 ans, il se retrouve à nouveau dans la rue. « Je dors dans un squat puis je travaille dans un bar à Bruxelles. Je décide de partir en Allemagne. Je fraude les trains. Les policiers allemands me tombent dessus. Je dis que j’ai 15 ans, je ne veux pas déposer mes empreintes. Je me sauve. J’ai un ami en Scandinavie. Je souhaite rejoindre la Suède. Je fais une escale forcée à Copenhague. Il fait très, très froid. J’hallucine. Je finis par dormir dans un ascenseur. Je réussis le lendemain à reprendre un train pour Malmö. Je joue les touristes. Je fais exprès de lire des journaux danois pour passer inaperçu. Je me fais tout de même à nouveau arrêter. Je n’ai plus le choix que de retourner en France. Je me retrouve à nouveau SDF. »
L’aventure LinkedOut
A son retour en France, Laïth s’engage pour défendre la cause des mineurs en difficulté qui sortent du cadre de l’aide sociale à l’enfance. Il devient secrétaire général de Repairs 94 et retrouve un toit. A travers Repairs, il rencontre l’association Entourage. « Je n’avais quasi pas de réseau. On m’explique LinkedOut. Je suis emballé. On m’aide à travailler mon CV, j’explique ma situation. Pour une fois, pas la peine de masquer les trous, ce CV me permet d’être vraiment moi-même. Je rencontre des gens, je me sens en confiance, je me fais des amis. Mon profil fait partie de la première promotion Linkedout. Je reçois 15 offres d’emploi. Aujourd’hui, je suis standardiste. J’ai un salaire et ça va. J’ai mes papiers qui me permettent de rester dans l’hexagone. Je vais suivre avec passion l’aventure de Thomas Ruyant et son voilier à nos couleurs sur le Vendée Globe. Ce projet a une grande valeur sentimentale pour moi. Avec Thomas, on va se comprendre. En mer, il est seul face à l’adversité et des défis imprévus. Nos parcours sont différents mais assez proches à la fois. » Bon vent Laïth !