La garde d’enfants en France
Pour sa 14ème édition, le fonds de dotation « Des Épaules et des Ailes », qui porte l’opération de mécénat Atout Soleil, a choisi de valoriser des initiatives solidaires, intergénérationnelles et innovantes développées pour aider les familles à faire garder les petits et les tout-petits en situation ou non de handicap.
Pourquoi le choix de cette problématique ? Car au-delà de l’inégalité d’accès à des modes de garde de qualité, la prise en charge de jeunes enfants dans des structures d’accueil de la petite enfance conditionne souvent le maintien ou l’accès à l’emploi pour les parents. La qualité de la prise en charge est également un facteur déterminant pour le bon développement des tous petits et notamment l’acquisition du langage essentiel à leur apprentissage futur.
De très fortes inégalités socio-économiques d’accès à un mode de garde
Selon Régine Scelles, professeure des universités et psychologue clinicienne, « peu de parents en France ont vraiment le choix du mode de garde pour leurs enfants. La plupart d’entre eux sont confrontés à des difficultés liées au manque de place en structure collective, à des contraintes horaires, économiques ou géographiques du fait de leur situation personnelle ou professionnelle.
Les inégalités sont fortes dans ce domaine : les modes de garde formels (assistante maternelle et garde collective) bénéficient majoritairement aux parents socio-économiquement favorisés tandis que les plus vulnérables, faute de moyens, ont surtout recours à des modes de garde plus informels (parents, grands-parents, voisins). »
Un impact sur les apprentissages scolaires futurs, notamment des enfants issus de milieux défavorisés
De nombreuses études[1] montrent notamment qu’un accès régulier à un mode de garde formel, dans un cadre sécurisant et ludique peut avoir des effets bénéfiques sur le développement de l’enfant (langagier, pré‐mathématique et moteur). Autrement dit, agir sur ces facteurs permet de limiter les inégalités en termes de réussite scolaire, notamment pour les enfants issus de milieux moins favorisés. Régine Scelles rappelle que « les bénéfices des accueils non-parentaux pour les enfants sont étroitement conditionnés à la qualité des modes d’accueil formels, par exemple les activités effectuées, la pratique des professionnels, les interactions intervenant au sein de la structure, etc. ».
La garde professionnalisée des jeunes enfants est aussi une des conditions de l’égalité professionnelle
Selon Régine Scelles, « la société reste inadaptée aux mamans qui ont un travail et qui doivent élever des tous petits. La pandémie a renforcé cette situation. Les femmes, qui restent encore les grandes organisatrices de la garde d’enfants, ont plus particulièrement été touchées par la crise et ont eu à subir des répercussions sur leur emploi ». Cette nécessité de devoir garder les enfants est une des principales explications au temps partiel contraint des femmes et donc de leur précarité et du différentiel de salaire avec les hommes.
« L’allongement de la durée du congé paternité, qui est passé de 14 à 28 jours depuis juillet 2021, représente toutefois une avancée significative, précise Régine Scelles. De plus en plus de crèches ont aussi des horaires aménagés pour s’adapter aux activités des parents. Des maisons d’assistantes maternelles se développent. Mais il reste encore un long chemin à parcourir pour que les petits soit respectés dans leurs besoins. La société tend à forcer les enfants à des adaptations qui ne sont pas naturelles mais liées aux contraintes des parents. Tout ceci conduit à un stress chez les parents qui impacte inévitablement l’enfant. »
Une situation encore plus complexe pour les parents ayant un/des enfants en situation de handicap
Régine Scelles explique que « pour les parents ayant un ou plusieurs enfants en situation de handicap, la situation la garde d’enfants est un réel casse-tête. Il est très rare pour ces familles que les deux parents puissent conserver un emploi à plein temps. Cette problématique de la garde d’enfants se pose à toutes les étapes : au départ, dès la détection des difficultés de l’enfant, l’un des parents – bien souvent la maman – sera contrainte de mettre sa carrière entre parenthèse car il faut l’accompagner pour ses soins et trouver un mode de garde adapté. Bien souvent les parents ne font pas confiance aux institutions. »
Comme le rappelle le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, l’accueil précoce des enfants en situation de handicap peut pourtant leur permettre d’acquérir de nouvelles expériences sociales et socialisantes, d’apprendre à s’adapter à d’autres environnements… en résumé, à cumuler des atouts pour une scolarisation future. Régine Scelles ajoute : « pour les parents, la crèche leur offre des temps de répit et leur permet de voir leur enfant évoluer parmi d’autres. C’est aussi un moyen de percevoir leurs capacités et leurs potentialités et non plus seulement leurs manques. »
Après, à partir de 4-6 ans, les problématiques de garde
s’accentuent : selon sa pathologie, l’école ne va pas prendre l’enfant à temps plein. Il y a alors une réelle problématique pour gérer la garde hors temps scolaires, en crèche ou en centre de loisirs quand celui-ci accepte des enfants en situation de handicap.
Régine Scelles précise que « depuis 10 ans, l’accueil des enfants en situation de handicap en crèche s’est fortement amélioré même si de fortes inégalités territoriales demeurent. En revanche, très peu de moyens supplémentaires ont été dédiés à cette ouverture que ce soit pour acheter du mobilier adapté ou encore pour organiser la formation des personnels. Celle-ci doit non seulement être financée mais il faut également être capable de gérer le remplacement du personnel en formation.
Il convient de développer des structures qui offrent davantage de flexibilité pour tenir compte des particularités du rythme scolaire de ces enfants. Il faut en outre encourager des modes d’accueil collectifs, accessibles à tous, sans discrimination. Cette mixité des publics permet aux enfants en situation de handicap de ne pas être seuls face à leurs difficultés et aux personnels, plus nombreux du fait de la structure, de s’entraider. »
[1] Séminaire « Premiers pas. Développement du jeune enfant et politique publique » du 1er décembre 2020 à l’été 2021 organisé par la Caisse nationale des Allocations familiales (Cnaf), France Stratégie et le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA).
Lawrence Berger, Lidia Panico, and Anne Solaz. 2021. “The Impact of Center-Based Childcare Attendance on Early Child Development: Evidence From the French Elfe Cohort.” Demography, 2021.