Redonner de la joie aux amputés : c’est l’objet du partenariat entre l’association Lames de Joie et le centre de rééducation IRMA

Valenton, Val-de-Marne – À l’Institut Robert Merle d’Aubigné (IRMA), un centre de rééducation spécialisé, une initiative bouleverse le quotidien des patients amputés. Depuis cinq ans, un partenariat avec l’association nordiste Lames de Joie permet de prêter gratuitement des lames de course en carbone à toute personne en situation de handicap pratiquant un sport. Un projet qui redonne mobilité, confiance et joie, mais qui soulève aussi des questions sur l’accessibilité de ces équipements.

Des prothèses adaptées, mais inaccessibles pour beaucoup

Les lames de course, ces prothèses courbées emblématiques des athlètes paralympiques, ne sont pas de simples accessoires. Elles offrent la possibilité de courir, de pratiquer des activités physiques et de retrouver une part d’autonomie. Cependant, leur coût élevé – entre 5 000 et 10 000 euros par lame – les rend inaccessibles pour de nombreux patients. « Les lames de course ne sont pas remboursées par la Sécurité sociale », déplore Manon Margat, orthoprothésiste au centre de rééducation IRMA. « Pour de nombreuses familles, déjà confrontées à des charges financières et administratives importantes, c’est un investissement insurmontable, d’autant plus qu’il faut remplacer ces prothèses tous les six mois pour suivre la croissance des enfants. »

La solution est venue d’un congrès scientifique. « Lors de l’événement annuel des orthoprothésistes ISPO-France, nous avons découvert l’association Lames de Joie. Leur démarche nous a immédiatement séduits », confie Manon Margat. Depuis cinq ans, le partenariat permet de prêter gratuitement des lames aux patients du centre de rééducation, sans distinction de revenus ni demande de caution. La seule condition : s’engager dans une activité sportive. « Ce prêt, accessible à tous, sans distinction de revenus, rétablit une forme d’égalité. Il permet à des patients de renouer avec le sport, tout en favorisant leur santé physique et mentale. Chaque année, grâce à ce partenariat, une vingtaine de lames sont prêtées à des enfants et, depuis un an et demi, à des adultes », souligne Manon Margat.

Une sélection réfléchie pour maximiser l’impact

L’attribution des lames repose sur une évaluation minutieuse. « Tous les patients rêvent d’avoir une lame de course, mais peu en font un usage réel », précise Manon Margat. Les équipes médicales étudient chaque dossier pour s’assurer que l’équipement sera pleinement exploité. « Chez les adultes, reprendre une activité physique après une amputation peut s’avérer complexe, surtout si le sport n’était pas une habitude avant. Pour les enfants, c’est différent. L’accessibilité de ces lames de course représente un vrai enjeu. Beaucoup se voient interdire la pratique sportive à l’école par des certificats d’inaptitude et sont encore moins nombreux à participer à des sports extrascolaires. Pourtant, l’activité physique est essentielle, tant pour leur développement physique que mental », souligne l’orthoprothésiste.
Lames de Joie accompagne les enfants tout au long de leur croissance grâce à un modèle de prêt innovant. « Quand une lame devient trop petite, elle est remise en état et prêtée à un autre enfant. C’est un cycle vertueux qui maximise l’utilisation de ces prothèses coûteuses », ajoute Manon Margat.

Une nouvelle vie pour les bénéficiaires

Samou, 32 ans, témoigne de l’impact transformateur de cette initiative. « En 2013, à l’âge de 21 ans, j’ai perdu mes deux jambes à la suite d’une tentative de suicide sur une ligne de RER. » Après ce drame, il a rejoint le centre de rééducation IRMA. « Avant cela, j’étais sportif, mais après mon amputation, courir était devenu un rêve inaccessible, surtout à cause du coût des prothèses. Je n’avais pas couru depuis dix ans. Grâce à l’IRMA et à Lames de Joie, j’ai pu retrouver cette activité. »

S’adapter à ces lames n’a toutefois pas été instantané. « Il m’a fallu environ un mois et demi pour apprendre à les utiliser, avec l’aide précieuse d’un éducateur sportif du centre, lors de séances hebdomadaires », explique Samou. Ce retour à la course lui a donné une nouvelle dynamique dans sa vie personnelle et familiale : « Cela m’a permis de redécouvrir des sensations bien différentes de celles du sport en fauteuil. J’ai vraiment pu me reconnecter avec mon corps. Le plus grand cadeau, c’est aussi et surtout de pouvoir partager des moments avec ma fille de 5 ans. Avant, je la regardais jouer à chat avec sa mère ou ses oncles. Maintenant, je peux courir avec elle, la suivre dans ses activités. Ce sont des instants précieux, irremplaçables. »

Changer le regard sur le handicap

Contrairement aux prothèses classiques souvent conçues pour être discrètes, les lames de course sont visibles et suscitent la curiosité. « Il y a 15 ans, les prothèses étaient souvent dissimulées sous de la mousse pour masquer les tubes. Aujourd’hui, les matériaux colorés et les designs modernes permettent de les afficher fièrement. Les patients n’hésitent plus à porter des vêtements courts, ce qui participe à une meilleure acceptation du handicap », explique Manon Margat. Samou partage cet avis et souligne l’effet positif de cette évolution. « Quand je cours, les gens s’arrêtent, posent des questions et découvrent une autre facette du handicap. Cela montre que, tout comme les valides, nous pouvons pratiquer un sport et vivre pleinement. Ces instants rétablissent une forme d’égalité. »

Au-delà du regard extérieur, l’initiative de Lames de Joie aide également les personnes handicapées à changer leur propre perception d’elles-mêmes. « Reprendre le sport, c’est regagner de l’autonomie, retrouver confiance en soi, et se sentir bien dans son corps comme dans sa tête. Cette fierté personnelle finit par influer sur la manière dont les autres nous perçoivent », ajoute Samou.

Samou insiste aussi sur l’importance des rôles modèles, indispensables pour redonner de l’espoir aux jeunes amputés. « Après mon accident, j’étais envahi par des incertitudes : pourrais-je retravailler ? Vivre normalement ? À l’époque, je ne connaissais personne en situation de handicap, et j’étais perdu ». Aujourd’hui, Samou, devenu ludothécaire et très investi dans le monde associatif, participe chaque année à une journée sportive organisée par l’IRMA et Lames de Joie. « Mon objectif est de montrer aux enfants amputés qu’il est possible d’être actif, heureux et de se projeter dans l’avenir. C’est essentiel. »

Cet engagement est également porté par les deux ambassadeurs de l’association : Alexis Hanquinquant, champion paralympique, et Pierre-Antoine Baele, finaliste dans la même discipline. Leur parcours illustre qu’un avenir plein d’espoir est possible, quelles que soient les difficultés rencontrées.