Gweltaz THIRION ou comment devenir Capitaine du Belem ?

Une sieste à Ouessant, terre de ses origines, sur un tapis d’herbe bien moelleux face à la mer ; Gweltaz THIRION, se réveille et décide, après un difficile parcours scolaire, de devenir marin. « Cela a été comme une révélation. J’avais 25 ans et j’avais connu un tracé compliqué à l’école. La mer m’a rattrapé, moi, enfant d’Ouessant, de Brest, moi qui avait du mal à trouver mon chemin. » A 41 ans, ce grand bonhomme, à la carrure de viking et une barbe qui ferait pâlir plus d’un hipster, aux yeux bleus perçants, est désormais l’un des deux capitaines du trois-mâts  Belem !

Ouessant, Saint-Malo, Brest

C’est à Brest que Gweltaz est né au sein d’une famille finistérienne, grands-parents maternels et paternels ouessantins. « Mon père était pêcheur à Ouessant lorsque je suis né. Nous sommes restés sur l’île jusqu’en 1980 ». Ensuite, le chef décide de tenter sa chance en tant qu’officier mécanicien première classe à Saint-Malo, la cité corsaire. A bord des navires à passagers reliant Saint-Malo et Jersey, Monsieur Thirion  s’occupe des machines. Mais en 1986 l’appel de la pointe bretonne se fait ressentir et la famille revient à Brest. « Mon père a passé un brevet « pont » et a trouvé un boulot sur un navire à passager entre Brest et Ouessant. »

Un CAP, un BEP, le monde de la nuit

« Pendant ce temps, mes études m’attendent et j’essaie de les rattraper » explique Gweltaz, assis dans une brasserie parisienne proche de la station Duroc, grand maréchal du palais de Napoléon, et surtout à côté de la Fondation Belem. « Je ne suis pas un bon élève. Je loupe mon brevet du collège pour l’avoir ensuite. A la sortie de la troisième, pour moi, il n’y a plus d’école. » Aucun établissement ne souhaite recruter Gweltaz au grand dam de l’autorité supérieure. Le jeune homme finit par incorporer un CAP de mécanique générale qu’il valide deux années après. Il enchaîne avec un BEP de vente à Quimperlé  en internat puis à Brest. « L’environnement de l’école ne me convient vraiment pas. En parallèle, je me passionne pour la cuisine. Très tôt, je confectionne des gâteaux. J’aime être derrière les fourneaux. » L’adolescence est difficile et à 18 ans, il commence, les week-ends, à se faire de l’argent de poche dans une boîte de nuit en tant que portier ou barman. « Le monde de la nuit m’attire, m’amuse. » A 20 ans, suite à son BEP, il intègre une classe de première, il passe son bac français blanc mais c’est calamiteux dixit l’intéressé. Personne n’accepte un redoublement. Cela sonne le glas ! « Je continue à travailler dans les bars et j’ajoute à mon activité la logistique de concerts. J’aime l’ambiance du montage et du démontage des scènes de spectacle. » Le grand croise Muse, les Cranberries, zombie, zombie, zombie…

Marin, une révélation

Il est toujours chez ses parents. Il a 25 ans et du jour au lendemain embrasse la carrière de marin. Il passe avec succès la théorie du BPPN, brevet de patron petite navigation, et un diplôme de pêche, le capacitaire. « En sortant du BBPN, je n’ai jamais navigué. Pour le valider, je dois aller sur l’eau. » Au large de Brest, il pêche au filet. A la Réunion ensuite, il s’essaie à la Long-Line, une pratique plus sélective. « Placer la ligne selon la lune, la lumière, pour attraper des poissons me passionne mais je ne m’entends pas avec mon patron. Je rentre en Métropole. » Gweltaz prend contact avec l’association AJD, les Amis de Jeudi Dimanche du père Michel Jaouen, grande figure bretonne, prêtre jésuite, connu pour son investissement auprès des jeunes. Le 14 juillet 2004, l’actuel capitaine du Belem embarque à bord du « Bel Espoir II», le navire « amiral » de l’association. Direction la Norvège via l’Ecosse ! En décembre de la même année, Gweltaz met le cap sur les Antilles avec des jeunes mais aussi « Monsieur et Madame Tout Le Monde » qui s’offre un stage transatlantique. Matelot, Gweltaz navigue alors beaucoup et découvre du pays : Madère, les Canaries, l’archipel du Cap-Vert, la Martinique, la République Dominicaine, Cuba, Fort Lauderdale… « Nous nous arrêtons à New York. J’ai énormément d’appréhension car à l’époque je n’aime pas les grandes villes mais la grosse pomme me croque. Cette aventure à bord du Bel Espoir m’apprend sur moi-même, sur les autres, une véritable école de la vie, un souvenir impérissable, pas seulement un navire-école, un cocon. » En 2005, Gweltaz galère pour retrouver du travail sur l’eau. Il finit par se retrouver à bord du « Pourquoi-Pas ?», navire tout neuf d’Ifremer. « J’apprends d’innombrables choses. C’est très enrichissant. Je suis rappelé pour plusieurs missions en tant que matelot. Après un nouveau passage à l’école, je pars ensuite à nouveau avec l’AJD, je traverse l’Atlantique, découvre le Sud de Terre-Neuve, le Québec… et je valide mon Capitaine 500. » De mai à octobre 2010, Gweltaz officie à bord d’un navire à passager entre Brest et Ouessant. En 2011, retour à l’école pour le brevet d’Officier de Chef de Quart Passerelle à Saint-Malo puis à Nantes. De septembre 2011 à Juillet 2012, toujours le long de la Loire, place au diplôme de capitaine 3000. « Comme d’habitude, je dois valider sur l’eau les connaissances. Je fais une saison à bord du Marité. Puis en 2013, je contacte la société suisse Promar qui bosse dans l’offshore pétrolier. Je travaille alors sur des crew-boats au Congo en transportant les techniciens entre les barges où ils vivent et les plateformes. »

Belem, un nom propre

Entre temps, Gweltaz commence à s’intéresser au Belem. « Je ne savais pas à l’époque ce qu’il faisait, qu’il emmenait une grande partie de l’année des marins en herbe en mer. » La Compagnie Maritime Nantaise qui gère l’équipage du Belem ne répond pas dans un premier temps à la demande du brestois à savoir trouver une place parmi les 16 membres d’équipage du voilier classé monument historique français. Elle finit par l’appeler pour un embarquement à bord du Belem. Le 24 mai 2014, le marin, désormais lieutenant, débarque des navires de soutien de Promar, rentre à Brest et s’envole pour la Grèce afin d’embarquer à bord du Belem. « Belem m’a tout de suite plu. Il ne faut pas se laisser submerger par son histoire. Avant tout c’est un navire. Il est ce qu’il est. C’est le dernier représentant de la plus grande flotte de commerce du 19ème Siècle. Avec les capitaines Yannick Simon puis Jean-Alain Morzadec et Michel Péry je m’imprègne du Belem en tant que lieutenant puis second capitaine. La présence de nombreux stagiaires est très enrichissante humainement. » Le brevet de Capitaine 3000 en poche, Gweltaz enchaîne les navigations à bord du Belem jusqu’au 3 septembre 2016 où il est nommé capitaine en alternance avec Aymeric Gibet. « Quand je suis promu  capitaine, j’ai une appréhension ! Je suis le patron. L’idée est de ne pas se retrouver en première page d’un journal pour de mauvaises raisons ! Je suis responsable de tout ! Fort heureusement le second capitaine, Thibaut FRANCOIS, est un officier remarquable. Ce qui me plait le plus, c’est de m’amuser en travaillant. On a un outil, le Belem, qui est une star. C’est une véritable responsabilité » conclut Gweltaz qui tente actuellement de valider un dernier diplôme de Marine Marchande, celui de Capitaine, brevet de commandement sans limitation de jauge, et qui rêve certainement encore d’être chef étoilé !

Les multirécidivistes du BELEM

Coup d’envoi de la saison 2018 du Belem : le 31 mars puis les 1, 2, 7 et 8 avril, le Belem réouvrira ses ponts aux visiteurs nantais de 10 à 18h quai de la Fosse, après un vaste chantier d’hiver. Il entamera ensuite une première navigation le 17 avril à Concarneau en direction de Saint-Brieuc.

Avant ces premiers événements orchestrés par la Fondation Belem,  zoom sur de grands passionnés du Belem qui multiplient les navigations à bord du trois-mâts : Guillaume  Quéré et Myriam Villert qui fêtera cette année son 50ème embarquement !

Guillaume  Quéré : « un lieu de rencontre en toute simplicité »

« J’ai découvert le Belem au début des années 2000 à travers un film qui retraçait son épopée en 2002 à la Martinique pour les 100 ans de l’éruption de la montagne Pelée. Depuis, je m’étais dit qu’il fallait absolument que j’aille faire un tour à bord de ce mythique voilier français » explique Guillaume  Quéré. « C’est en 2012 que j’ai franchi le cap avec un stage entre Londres et Saint-Malo. Tout m’a plu lors de cette première expérience : l’histoire du Belem évidemment, la navigation sur un monument historique, la convivialité et surtout l’idée d’entretenir ce navire avec mes moyens. Depuis, j’ai effectué neuf séjours dans lesquels j’adore surtout participer aux manœuvres des voiles. Et je vais, cette année, ajouter dans mon escarcelle une 10ème et 11ème navigation entre Brest et Liverpool puis entre Liverpool et Dublin. Je me sens mieux en mer qu’à terre et le Belem est un formidable moyen d’évasion maritime. Désormais depuis 5 ans, je retrouve d’autres multirécidivistes à bord. Nous prenons les mêmes séjours de navigation. Le Belem est également un lieu de rencontre en toute simplicité ».

Six questions à Myriam Villert…

1) Comment avez-vous connu le Belem ?

Ma première rencontre avec le trois-mâts remonte à juin 2003 au cours de vacances dans un des plus beaux écrins : la cité corsaire de Saint-Malo ! Une rencontre surtout inattendue lors d’une visite sur le port pour échapper à la cohue touristique intra-muros. “Belem” était en courte escale entre deux navigations. Les navigants (que je prenais à l’époque pour l’équipage) débarquaient tout juste, arborant fièrement t-shirt, vareuse ou polaire à l’effigie du navire. Une foule de badauds était amassée autour de la coupée.
Le simple fait de voir le navire était impressionnant. J’étais subjuguée. Comme beaucoup, je le connaissais grâce à “la” fameuse photo de Philip Plisson qui a fait le tour du monde.
Il était impossible de le visiter, cependant l’équipage informait le public de la participation du navire à la Grande Armada de Rouen le mois suivant.

A ce moment là, je ne connaissais rien des activités du voilier et avais encore moins entendu parlé d’une fondation dédiée. Pour moi, “Belem” était inaccessible, un autre monde réservé à une élite, et par conséquent la question d’un jour poser mon sac à bord était purement inenvisageable et ne me venait même pas à l’esprit.
Par contre, l’idée de pouvoir le visiter me trotta dans la tête et je me suis rendue à l’Armada avec pour objectif principal de monter à bord. En juillet donc, après une longue et interminable file d’attente, je savourais le moment d’être à bord et j’arpentais à plusieurs reprises tous les endroits du pont ouvert aux visiteurs, je me souviens avoir fait un nombre incalculable de photographies pour garder un souvenir de ce moment mémorable… Et là, un membre de l’équipage (Serge toujours gabier à bord aujourd’hui) est venu me proposer d’embarquer en me précisant les activités du navire et le programme des stages.
Premier réflexe : ce n’était pas pour moi,n’ayant aucune expérience de voile … justement … et là s’ensuivit une conversation des plus persuasives qui m’a donné envie de tenter l’expérience. Afin de lever mes dernières appréhensions, Serge m’invita à revenir le lendemain pour visiter les logements des navigants non accessibles en visite. Désormais rassurée, je réservais sur la saison suivante.

2) Combien de séjours de navigation avez-vous effectué et surtout pourquoi ?

J’ai pour ainsi dire attrapé le « virus nautique » lors de ma toute première navigation à bord du Belem. C’était donc en 2004. J’avais à l’époque réservé trois petites navigations consécutives (soit 10 jours), intimement persuadée que cette expérience à bord d’un grand voilier ne pourrait pas me décevoir, puisque j’en rêvais, puisque je rêvais de “Belem” depuis ma visite à l’Armada ! Et ce fût le cas, au point que la même année, j’ai récidivé pour une quatrième navigation en fin de saison.

Ce que par contre, je ne pouvais pas prévoir à l’époque, c’est que 14 années plus tard, je comptabiliserai 47 navigations en 27 embarquements ! Soit au total 264 jours en navigation (8,8 mois) et 21.821 milles parcourus (40.412 kms soit le tour de la Terre à l’Équateur!).

Et pourtant au départ, je n’avais aucune prédisposition particulière pour la voile, aucune expérience plus significative qu’un essai raté en « Optimist » sur un lac artificiel par une journée sans vent, ni non plus de transmission d’un patrimoine génétique d’un illustre ancêtre marin !

Comme quoi…tout peut arriver … à commencer par la naissance d’une véritable passion.

Aujourd’hui, j’avoue passer la majeure partie de mes vacances en mer. Je pense que c’est un des rares espaces de liberté qu’il nous est encore permis de savourer pleinement. À bord, vous n’avez à vous soucier que de la bonne marche du navire… Vous laissez votre quotidien de terrien, l’actualité trop souvent anxiogène de la société et tous les petits tracas de vie courante sur le quai au moment où la dernière amarre vous livre à l’océan.

Pour la petite anecdote, à la question des mes proches suite à mon premier embarquement. « Alors, ça y est tu as réalisé ton rêve en navigant sur le Belem ! Et maintenant quel est ton prochain rêve ? », je me rappelle avoir répondu dans la foulée : « Y retourner ! »

3) Qu’est ce qui vous lie à ce voilier ?

Un lien indéfectible à n’en pas douter, difficile d’ailleurs à expliquer après tant d’années… je crois qu’il faut avoir navigué à bord pour comprendre cet “effet Belem” dont tous les “multirécidivistes” parlent unanimement.
Et si je vous parle d’un coup de foudre pour le Belem ? Outre son incroyable passé historique fascinant, “Belem” attire par son élégante ligne, ses nombreuses essences de bois impeccablement vernis sur le pont comme à l’intérieur des roofs et des ponts, ses cuivres toujours entretenus. Partout où le regard se pose, l’esthétique est omniprésent. “Belem” attire, séduit, envoûte et j’aime toujours autant faire des photos suivant les jeux de lumières ou l’atmosphère toujours différente.
Mais on ne peut pas parler du navire sans évoquer son équipage ! Seize hommes et femmes, professionnels du monde maritime, passionnés par leur métier et intarissables sur leur envie de le partager avec tous les navigants venus en mode découverte, l’espace de quelques jours. C’est donc un tout indissociable et la magie opère à chaque embarquement. A bord entre nouveaux navigants, navigants multirécidivistes et équipage c’est un peu une franche camaraderie, une cohésion d’équipe dans les manœuvres et surtout le sentiment de vivre une expérience unique de continuer d’écrire l’histoire de “Belem”.

Découvrir une activité qui vous est totalement étrangère et dont rien ne vous en prédispose. L’apprécier parce qu’elle vous est transmise par des marins passionnés que vous connaissez pour la plupart depuis des années et comprendre cette passion au point d’en faire la vôtre quelques jours dans l’année… c’est peut-être là l’explication ?

4) Cette année, embarquez-vous ? Si oui, sur quels séjours ?

Oui ! Une année sans naviguer à bord est pour moi inconcevable ! Je vais effectuer trois navigations cette saison. Les deux premières consécutives :  Brest-Liverpool et la Tall Ships Regatta entre Liverpool et Dublin en mai prochain.
Ma 50ème navigation se fera en Méditerranée entre Nice et Sète au mois d’octobre.

5) Avez-vous des relations avec d’autres récidivistes ?

Oui bien évidemment, je suis en contact permanent avec certains navigants, ou plus ponctuels avec d’autres. Ce sont des amis. Nous avons vécu ensemble d’excellents moments lors de navigations, souvenirs que nous ne nous lassons d’ailleurs jamais de nous remémorer lorsque nous nous voyons. Nous sommes sur la même longueur d’onde avec une vraie passion commune pour “Belem”.

Nous faisons de temps à autres des dîners entre navigants franciliens. Et puis je ne compte plus les contacts par téléphone, sms, réseaux sociaux pour échanger sur les programmes à leur sortie, choisir les mêmes navigations parfois, souvent même et préparer ensemble la logistique d’embarquement.

6) Nous croyons savoir que vous aidez souvent la Fondation. Que faites-vous bénévolement ?

Oui autant que je peux, en dehors de mon activité professionnelle et mon implication au sein de l’Association des Amis des Grands Voiliers comme photographe et responsable de communication média (newsletters, site, réseaux sociaux).Mes activités de bénévolat pour la Fondation Belem sont diverses.
Avoir le privilège de naviguer à bord de “Belem” conduit forcément à vouloir ensuite partager son expérience lors de différentes occasions telles que : le Salon Nautique de Paris – tenue du stand tous les ans depuis 2007, les visites lors des escales conjointes à mes navigations ou à l’occasion de rassemblements de grands voiliers, manifestations diverses : Sail Amsterdam 2015 – 120 ans du Belem – Les Grandes Voiles du Havre, etc.

Mon rôle est alors de renseigner les visiteurs sur les possibilités de naviguer sur “Belem” mais aussi de partager mon expérience en racontant le quotidien de la vie à bord, de rassurer sur des craintes ou inaptitudes bien souvent infondées, de délivrer quelques petites préconisations, bref de transmettre l’envie de poser un jour son sac à bord et de vivre pleinement une aventure inoubliable. Ce que je préfère, c’est les visites des scolaires. Je garde un excellent souvenir des classes de CE1/CM1 à l’occasion des 120 ans de “Belem” à Nantes.